Prochainement va s’implanter dans la Vienne une ferme porcine capable d’accueillir environ 6000 animaux par an. Ce n’est qu’une de plus nous direz-vous ?
Sans doute, mais celle-ci est en bio… Cet exemple illustre bien le dilemme auquel nous devons faire face collectivement et pose la question essentielle du modèle d’agriculture que nous voulons défendre.
Si l’on veut proposer des produits biologiques au plus grand nombre, le plus logique est donc de les installer dans les étagères des grandes surfaces, qui sont les lieux de distribution les plus visités par les français (la France est le pays d’Europe qui compte le plus de supermarchés par habitants).
Le fonctionnement des grandes surfaces a fortement participé à la construction du modèle d’agriculture industrielle actuel : 97 % des produits qui y sont distribués passent par 5 centrales d’achats. Ces centrales mettent les producteurs en concurrence pour acheter au mieux disant. Leur position de force dans la négociation oblige les producteurs à baisser leurs prix de vente, les obligeant à produire plus pour espérer dégager le même revenu. Et pour augmenter leur production, ils prennent la voie de l’industrialisation.
Les produits bios vendus en grande surface suivent donc le même chemin : production en monoculture, élevages de grande taille (respectant les normes du cahier des charges de l’AB, mais devons-nous nous satisfaire uniquement de cela ?), mécanisation importante de l’exploitation.
Cette course au prix le plus bas incite les centrales d’achat à acheter des produits à l’étranger…plus ou moins loin (des kiwis de Nouvelle-Zélande en été) ! Le transport de ces produits contribue à l’émission de gaz à effet de serre, mais ça, tout le monde le sait.
Ce que l’on sait moins, c’est que souvent, cette production se fait au détriment des ressources en eau des populations locales concernées par cette agriculture qui s’intensifie. Ce que l’on nous cache souvent, c’est que cette production, même en bio, se base sur une main d’œuvre bon marché, souvent exploitée, et subissant des conditions sociales au rabais (horaires de travail, salaires plus bas que les minimums nationaux, confiscation des papiers, etc…).
Et le prix dans tout ça ?
Une enquête publiée au mois d’août 2017 par UFC Que Choisir a fait parlé d’elle : la grande distribution pratique des marges beaucoup plus importantes sur les produits bios (Lire les résultats de l’enquête ici).
Dans un article publié en 2016, Johanne Ruyssen, alors coordinatrice à la Super Halle, nous explique ce qu’est un prix “juste” : “[…]un juste prix ne veut pas dire un prix bas, on a tous dans la tête des “images prix”, par exemple un kilo de tomates à un euro ; mais d’où vient ce kilo de tomates, comment a-t-il été produit, par qui et dans quelles conditions ? Peut-on le comparer au kilo de tomates produit à moins de 80 km d’Oullins par une exploitation agricole à taille humaine et certifiée bio par exemple ? […] Il est de l’intérêt de tous de corriger cette méconnaissance générale sur les prix en se constituant une « référence prix » et non une image prix. Ainsi, le producteur communique sur son mode et son lieu de production, le distributeur sur ses choix de fournisseurs et d’intermédiaires, le transformateur sur ses approvisionnements et ainsi le consommateur peut engranger ces informations en lien avec le prix payé ; ce qui lui permet ensuite de comparer, en référence et non en image, sur d’autres lieux d’achats.”
Au sein du réseau Grap, dont la Super Halle fait partie, nous ne négocions pas les prix d’achat avec les producteurs avec qui nous travaillons en toute confiance. Nous acceptons le prix qu’ils ou elles nous proposent, confiant qu’il s’agit d’un prix juste, rémunérateur de leur travail.
La fin des commerces de proximité ?
La grande distribution, en s’implantant dans la périphérie proche des villes moyennes, a mis à mal bon nombre de commerces de proximité. Cyril Dion, dans un article écrit pour le magazine Kaizen l’explique : « […] pour un emploi créé dans les GMS, cinq sont détruits dans l’économie locale (4). Ou si l’on veut regarder les choses dans l’autre sens : à chaque fois que l’on achète auprès d’une entreprise locale le même produit, de même qualité, au même prix, on génère trois fois plus d’emplois, de revenus et de richesse […] ».
Le bio de grandes surfaces s’inscrit d’autant plus dans ce cadre que les produits vendus proviennent de très loin. Pour le bon développement de nos territoires, pour la vie de nos villes et de nos campagnes, il est donc important d’acheter local… dans nos magasins locaux !
L’agriculture biologique doit donc s’inscrire dans un mode de vie et de pensée globaux : il est important de manger bio pour sa santé, mais aussi pour celle des paysans qui nous nourrissent, et pour encourager un travail respectueux de toutes et tous et de la planète. Il ne s’agit pas de se calquer sur le modèle conventionnel, tout en respectant un cahier des charges différent. C’est donc une démarche globale, écologique, sociale, éthique et politique qui doit nous animer tous autour de la démocratisation de l’agriculture biologique.
Nous vous conseillons très vivement de lire « La bio entre business et projet de société », 2012 – Sous la direction de Philippe Baqué aux édition Agone.
Et, pour continuer :
https://www.bastamag.net/Comment-la-grande-distribution-s-approprie-l-image-sympathique-du-petit
http://www.bioalaune.com/fr/actualite-bio/34736/bio-low-cost-face-cachee-du-bio-de-grande-surface https://reporterre.net/La-grande-distribution-s-engouffre-dans-la-bio-et-en-menace-les-valeurs
Laure-Hélène, épicière à la Super Halle d’Oullins
Merci à l’équipe de « mescoursesenvrac.com » pour la photo